Mélanie Jouen – Le titre de cette dernière création relate ce qui constitue l’essence de vos pièces : la structure et le souffle. Que souhaitez-vous donner à voir ?
Myriam Gourfink – Indéniablement, le titre Structure souffle pourrait résumer la recherche que je mène depuis plus de vingt ans. Dans chacune de mes pièces, j’ai voulu revenir à l’essence du mouvement et notamment au souffle, ce premier mouvement du corps qui structure notre être et notre rapport au monde. Cette pièce interroge non seulement la biomécanique de la respiration mais également les souffles plus raffinés que révèle la pratique du yoga. Avec cette nouvelle création, je souhaite donner à voir de façon physique combien le souffle nous relie à l’autre.
Le sous-titre Projet racine souligne le fait que cette création s’ancre dans le souvenir des danses de couple que pratiquaient vos parents. De quelle manière conciliez-vous ce vocabulaire chorégraphique spécifique avec le système de notation Laban que vous employez ?
Mes parents m’emmenaient dans les bals populaires danser la valse, le tango ou le rock et j’ai puisé dans les traces que ces danses ont laissé dans ma mémoire et dans mon corps. Ce vocabulaire m’a donné un glossaire de signes Laban : un large spectre de signes-souches qui m’ont renvoyée à deux grands ensembles d’analyses du mouvement. Le premier, défini de façon claire en cinétographie, est relatif à la relation : de l’adresse aux portés en passant par le contact et leurs variations (contrepoids, contacts glissés, appuis glissés…). Le second représente toutes les parties du corps en mouvement. À l’intérieur des deux grands ensembles, je sélectionne des matériaux avec lesquels je réalise ensuite toutes les combinatoires possibles. Actuellement, je conçois trois grandes familles de combinatoires : les membres qui rejoignent les membres, les membres qui rejoignent le tronc ou des parties du tronc sur des parties du tronc. À partir de ces familles, je réalise des modules de cinq figures soit par des opérations systématiques, soit de manière très intuitive à partir des éléments choisis ou en intégrant ce que je nomme résidus, écartés au préalable.
Vous explorez le contrepoids, élément central de ce vocabulaire, à travers un dispositif d’accroches, formant une première structure physique. Quel est ce jeu structurel ?
Tout d’abord, j’ai choisi un certain nombre de parties du corps dont l’utilisation peut générer des inattendus : fesse droite, fesse gauche, ventre, creux entre les omoplates, sternum, ongles, bout des doigts, etc. Je nomme accroches la façon dont deux personnes entrent en relation, dont deux parties du corps se rejoignent. Je cherche les accroches les plus simples comme les plus intrigantes : une tête qui rentre dans un ventre, des ongles sur une paume… Ces éléments pourront bâtir une dramaturgie qui questionnera, à partir des danses de couple, la façon dont on se touche. On trouve des pratiques très acrobatiques, voire osées comme dans le rock n’roll, mais une figure comme une tête dans un ventre, plus intime, est peu présente dans ce type de danse. Socialement, certaines parties ne se laissent pas toucher.
À cette première structure physique s’adjoint une seconde plus subtile : celle du souffle. De quelle manière composez-vous avec les flux que sont l’inspiration et l’expiration ? Et comment ces deux structures interagissent-elles ?
Dans les écrits et dessins que j’ai réalisés, je vois la structure physique formant un 8 comme deux lobes pulmonaires qui se contractent, se dilatent, ensemble ou en alternance, se séparent en quatuor ou en duo pour s’étendre. À cette structure, j’associe une sorte de fiction : chaque danseuse, en étant attentive à son propre souffle et au souffle de l’autre, tend vers cette expansion sensible de la perception et vers l’exploration du contact.
Vous utilisez également les indriyas qui, dans la pratique du yoga, rassemblent les facultés physiques et mentales liées aux cinq sens physiologiques. Celles-ci et le souffle font-ils l’objet d’une partition préalablement écrite ?
Les indriyas sont très proches de la notion de proprioception et sont aussi à la base de ma recherche. Pour cette pièce, je travaille à la stimulation du goût et du toucher. Lors des répétitions, j’observe le souffle se modifier : s’il devient de plus en plus physique, je cherche à soutenir l’effort avec des techniques qui permettent de l’alléger. La dramaturgie du souffle reposera sur la manière dont il peut étayer les relations, à travers l’exploration des trois étages respiratoires et en fonction des mouvements. Je ne constitue pas de partition du souffle ou des indriyas en amont. Pour cette pièce, j’opère toujours des allers-retours entre la page et le studio, selon la manière dont le groupe s’empare du souffle car c’est un phénomène intime et imprévisible.
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