Mélanie Jouen – Giselle… succède à Phèdre ! : quel sens donnez-vous aux signes de ponctuation qui différencient les titres de vos pièces des œuvres de référence ?
François Gremaud – Phèdre ! a été écrite pour être jouée dans les lycées. En ponctuant le titre d’un point d’exclamation, j’ai voulu insuffler le désir et l’immédiateté d’une rencontre avec cette œuvre magistrale. J’ai souhaité caractériser autrement la seconde pièce et j’ai alors découvert que les points de suspension – qui portent en eux le caractère inexprimable d’un état d’âme ou appellent un terme complémentaire – sont apparus avec le romantisme dont Giselle marque l’apogée. Les signes de ponctuation marquent le fait que, si nous partons de l’œuvre originale, ce que nous concevons n’est pas l’interprétation ni même la ré-interprétation de celle-ci. Phèdre ! et Giselle… sont bien autre chose que Phèdre et Giselle.
Ces points de suspension évoquent également la recherche que mène la 2b company sur l’expression d’une imperceptibilité, de ce qui tend à apparaître sans apparaître encore ou vraiment. Dans Giselle…, de quelle manière abordez-vous l’extériorisation de « l’ineffable de l’émotion » qui serait « le véritable sujet de la pièce » dites-vous ?
Les points de suspension portent en eux ce phénomène de disparition-apparition au cœur du destin de Giselle et du mythe des Wilis. Dans les pièces de la 2b company, je travaille toujours de manière indirecte cet « imperceptible » en créant les conditions qui favorisent la liberté de l’interprète. Cet état de « suspension » ou de « grâce » – éprouvé par les interprètes et dans lequel iels me plongent –, intervient lorsqu’iels maîtrisent absolument le temps et l’espace.
À ce propos, quel est votre rapport à la contrainte ? Phèdre ! et Giselle… répondent à un même principe qui consiste à réduire une pièce pour un interprète seul en scène et toutes deux s’inscrivent de manière oulipienne dans une symétrie presque radicale.
Je place mon travail dans la filiation de l’Oulipo dans le sens où je m’intéresse à la mécanique d’une œuvre, à la machine dramaturgique. Mes pièces ont leur propre structure faite de contraintes qui stimulent l’auteur-metteur en scène que je suis. J’écris beaucoup, de manière très fouillée. Structurer avec précision permet qu’advienne chez l’interprète une liberté, seule condition du sublime, de la grâce dont je parlais précédemment.
Ce que vous déployez spécifiquement pour ce projet s’apparenterait-il alors à un exercice de style ?
Oui, en quelque sorte. Phèdre ! était la réponse à une commande du Théâtre Vidy-Lausanne et l’occasion d’explorer cette œuvre que j’adore avec un acteur que j’admire, Romain Daroles. Giselle… est venue à moi après avoir rencontré Samantha van Wissen alors que je travaillais en tant que dramaturge avec Thomas Hauert. Lorsque j’ai compris que le personnage de Giselle est au ballet classique ce que celui de Phèdre est au théâtre, j’ai réalisé que je pouvais déplier un même protocole. En tant qu’artiste, s’appuyer sur un programme pour exercer ses compétences contribue aussi à réinventer sa pratique. Et puisque je ne connaissais pas le ballet classique, c’était assez joyeux pour moi de faire mes classes, à mon âge !
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