L’Envol

Nacera Belaza

Festival d'Automne à Paris


festival-automne.com


entretien et écriture

texte de présentation de l’œuvre pour la brochure et entretien avec l’artiste pour le dossier de presse

Qu’est-ce qui vous a menée à écrire une danse des corps « en état de chute » ?
Nacera Belaza : Ma pratique repose sur le lâcher-prise, en- tendu comme une défaillance, une soustraction à l’empire du mental et du corps. À cet endroit apparaît une gestuelle hors de tout contrôle qui délivre des choses profondes sur l’être humain. Pour cette création, je me concentre davantage sur le fait même de défaillir. Ce qui m’intéresse ici est que le spectateur, autant que l’interprète, soit maintenu dans cet état d’abandon propice à l’apparition de l’imprévisible. Je travaille toujours avec une matrice, une image particulière qui active mon imaginaire. Sciemment, je ne la révèle pas pour qu’elle ne produise ni attente ni projection dans l’esprit du specta- teur. Si celui-ci cherchait à décrypter ce qu’il voit sur scène à l’aune de cette image, il ne pourrait vivre l’expérience sensible à laquelle il est convié.

Il semble qu’avec cette notion de défaillance, dans le contexte actuel, votre recherche de l’abandon du corps comme du mental, se double d’une certaine urgence.
Nacera Belaza : Mon travail prend source à l’endroit d’une urgence. J’ai toujours exigé de l’art qu’il réponde aux grandes questions de l’existence. Ce qui se déroule aujourd’hui me ramène à la nécessité de mon geste, au fait que ma quête redonne du sens à ce qu’on vit, véritablement. Bien que ce que nous traversions en tant que compagnie soit très éprouvant, l’urgence de créer réordonne quelque peu ce chaos.

Face à la catastrophe, l’humain peut défaillir et, dans cet état, paniquer ou rester serein. En travaillant ces courants contradictoires qui traversent l’être, il semble que vous touchiez à cette tension entre puissance de vie et de mort ou entre pulsion et interdiction qui a été le terreau de votre rencontre avec le mouvement, avec la danse.
Nacera Belaza
: Une phrase de Elsa Wolliastone résonne toujours en moi : « interpréter c’est jouer avec le fil qui nous relie à la vie et à la mort ». C’est avec ces questions que sans cesse je taille la matière. J’exhorte en permanence l’interprète à un dépassement de ses propres limites. Pour cela, j’utilise des contraintes très fortes qui, une fois dépassées, mènent à un sentiment de profonde libération, laquelle, pour un bref moment, résout ces tiraillements. Mais il faut renouveler chaque jour cet acte puissant et désespéré pour revenir à la vie.

L’acte de défaillir, de choir, viendrait-il tailler, percer ce vide que vous cherchez depuis toujours à sculpter ?
Nacera Belaza : L’image initiale me permet de créer de la matière, et ensuite de l’évider pour qu’elle devienne contour et fasse résonner du vide. Le vide et le silence sont, sans aucun doute, la résonance ultime que je souhaite donner à mes pièces. Comment le mouvement n’est pas nécessairement accumulation mais soustraction ? Comment peut-il révéler davantage le vide et le silence plutôt que les recouvrir, les assourdir ? Ce vide comble toutes nos attentes. On considère être parvenu à destination lorsque le spectateur a compris quelque chose. Pourtant, quand l’expérience débouche sur une mise en abîme de notre propre attente qu’aucune idée ni compréhension ne vient combler, le vertige s’installe et nous ramène à notre juste place. En reconnaissant notre infinie impuissance on se déleste considérablement.

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