pour Théâtre en mai 17
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Fauteuils, bacs et miroirs. Dans ce salon de coiffure un peu miteux, Bouboule s’affaire autour de sa mère, alanguie là. Shampoing, teinture et soin. Puce est aussi ronde que Bouboule est longue. Effleurement des peaux, évitement des regards, halètement des souffles, frôlement des mots. La radio grésille, bavasse et chante The man I love. Les voix et pas des voisins du dessus cherchent un gamin, perdu. Bruits incessants et pannes de courant. Face à la vitrine et à nos regards, dans cette chambre rouge, elles balbutient des bribes de vie : ce Centre où travaille Puce et où ne veut aller Bouboule, ce Dédé violent adoré, les secrets bien scellés. « Dans leur éternelle soumission – à leur environnement, aux hommes, figures cruelles, mais aimées – apparaît l’impossibilité pour ces femmes de sortir de l’enfermement. » À travers le geste chorégraphié de la coiffure – une véritable performance pour les deux actrices – le toucher est « tentative et échec du contact, effleurement sensuel et destructeur » qui, depuis la surface, incise les profondeurs : maternité, maltraitance et misère. Clara Chabalier met en scène le texte inédit en France de la croate Asja Srnec Todorović publié en 1999, quelques années après l’éclatement du bloc communiste. « Comment pardonner sans oublier ? » S’il y a une réponse, peut-être se glisse-t-elle juste là, sous la peau.
Du dehors, exsude un climat apocalyptique. « Quel est ce monde où les bébés sont vendus dans des cartons de bière sur le marché noir ? » À l’intérieur, les miroirs « fragmentent les corps, dévoilent les angles morts » reflètent les parts d’ombre de ces femmes et leurs regards qui jamais ne se rencontrent. Puce, la mère en chair est figée, son visage outrancier (telle une créature de Cindy Sherman) porte les traces d’une starification fanée. Bouboule, la fille en os est agitée, sa face effacée. Miroir, qui est la plus belle ? « La séance de coiffure est prétexte au modelage de la figure de la mère, qui s’en remet au doigté expert de sa fille, […] au risque que le masque se fissure. » Rédemption, émancipation. Si le toucher est protégé par la technicité, la caresse intime électrise. « L’ambiguïté du toucher contient toute la pièce » et la respiration, un motif obsessionnel chez l’auteure, rythme la partition. Le titre croate, Dodir, intraduisible en français, désigne le rapprochement du doigt de Dieu de celui de l’homme dans La Création d’Adam de Michel-Ange. Dans l’effleurement surgirait la faille, « entre ce à quoi on doit la vie, ce qui nous fait vivre. » On croise ici les figures de Samuel Beckett dans ces non-dits tendus, de Sylvia Plath dans ces personnages féminins, de David Lynch dans cette chambre exhibitoire qui cache les coulisses, l’ob-scène. Julien Fezans compose une partition électroacoustique travaillée en temps réel de voix, tubes radiophoniques et sons concrets. Philippe Gladieux crée un dispositif lumineux ingénieux texturant les atmosphères. En 2014, dans le cadre des Ateliers d’Écritures Contemporaines de l’ERAC, Michel Corvin propose à Clara Chabalier cette pièce reconnue Meilleur texte dramatique au Festival International du Théâtre de Chambre d’Umag et mise en scène par l’auteure à Zagreb. Un texte passé entre les mailles des comités de lecture, mais remarqué par Daniel Jeanneteau, qui accompagne le projet. Après avoir été travaillé à l’ERAC, présenté en lecture en 2015 à Théâtre Ouvert – festival Focus, le spectacle est créé en mars 2016 au Studio-Théâtre de Vitry. Avec la traductrice, Clara Chabalier façonne le matériau dramatique. Actrice notamment pour Peyret, Castellucci et Niangouna, metteure en scène de Pasolini, Handke et Lycophron, musicienne, la jeune femme travaille le langage dont elle assemble les agencements textuels, corporels, sonores et visuels en une syntaxe scénique signifiante.
Formée à l’ERAC, Clara Chabalier intègre en 2012 le deuxième cycle du CNSAD pour une recherche sur l’acteur et les nouvelles technologies. Elle joue notamment sous la direction de Jean-François Peyret dans Re:Walden – 2013, Romeo Castellucci dans Four Season’s Restaurant – 2012, César Vayssié dans Un Film Evènement – 2015, Dieudonné Niangouna dans Nkenguegi – 2016. Avec sa compagnie Les Ex-citants créée en 2009, elle signe sa première création, Calderón de Pier Paolo Pasolini – Théâtre en mai 2010 (prix Paris Jeune Talent). Elle crée ensuite Autoportrait d’après les démarches photographiques de Sherman, Mapplethorpe, Woodman et Levy dont une performance est présentée à Ancône – Italie pour la Biennale des Jeunes Créateurs d’Europe et de Méditerranée, et Blasted [anéantis] – 2014 d’après Sarah Kane. Elle monte en 2012 à l’EDT91 Par les villages de Peter Handke et en 2014 à l’ERAC, Effleurement d’Asja Srnec Todorović, prémices de cette création. En 2016, avec sa compagnie re-nommée Pétrole – hommage au livre inachevé de Pasolini – elle crée Cassandre-Matériaux d’après Lycophron traduit par Pascal Quignard au Théâtre de la Commune. En mai 2017, elle créera au Théâtre de Vanves dans le cadre du Switch Festival, Insanae Navis composé par Januibe Tejera du jeune collectif Warn!ng, théâtre musical pour onze instrumentistes et une chanteuse. Elle travaille actuellement avec le compositeur Sébastien Gaxie à la conception de Winterreise d’Elfriede Jelinek d’après les lieder de Schubert, avec sept comédiens-musiciens, et dont le préambule Chemins intranquilles foulés trop tard sera créé en 2017-2018 à la péniche POP – Paris.
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dossier de presse
Fauteuils, bacs et miroirs. Dans ce salon de coiffure un peu miteux, Bouboule s’affaire autour de sa mère, alanguie là. Shampoing, teinte et coupe. La laque embaume l’air, la radio grésille The man I love tandis que les pas des voisins au dessus cherchent leur gamin perdu. Bruits incessants et pannes de courant, c’est oppressant. Effleurement des peaux, évitement des regards, halètement des souffles, frôlement des mots. Face à la vitrine et à nos regards, dans ce décor digne d’un film de David Lynch, elles balbutient quelques bribes de leur vie : ce Centre où travaille Puce et où ne veut aller Bouboule, les secrets scellés et puis ce Dédé, cruel adoré. Que ne se disent-elle pas ? Soumises à leur environnement et à leurs hommes, violents, elles ne sortent pas d’un enfermement. La séance de coiffure est une tentative de contact entre une mère et sa fille, un geste chorégraphie, tendu, qui aborde la maternité, la maltraitance, l’amour. Clara Chabalier crée le texte inédit en France de la croate Asja Srnec Todorović publié en 1999. « Comment pardonner sans oublier ? » S’il y a une réponse, peut-être se glisse-t-elle là, à fleur de peau. Véritable performance d’actrices, Effleurement nous touche.
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déclinaison livret