Vacances Vacance / L’Art de conserver la santé

Ondine Cloez

Festival d'Automne à Paris


festival-automne.com


entretien et écriture

texte de présentation de l’œuvre pour la brochure et entretien avec l’artiste pour le dossier de presse

Interprète depuis une quinzaine d’années, vous signez en 2018 votre première création Vacances vacance. D’où est né le désir de chorégraphier ?
Ondine Cloez : En 2015, j’ai abordé la notion de travail lors d’une résidence. J’ai toujours collaboré avec des chorégraphes qui valorisaient la recherche et à l’époque, j’éprouvais le besoin d’un temps solitaire de réflexion sans projet de création. En danse, le travail est une vraie question : doit-on se mettre à l’oeuvre, doit-on laisser émerger ? Plus tard, au cours d’une performance à Bruxelles, j’ai expliqué ce que j’avais fait durant cette résidence et ai posé sans le savoir le point de départ de Vacances vacance. Le désir de créer est né d’une curiosité à prolonger cette recherche jusqu’à sa possible finalisation : la représentation.

De la notion de travail à la vacance de l’individu à son corps, quel a été votre chemin de pensée ?
Lorsque j’ai débuté cette recherche, je revenais de vacances au cours desquelles j’avais constaté éprouver intensément la beauté ou la légèreté des événements. De retour en studio, rattrapée par une certaine habitude, j’ai réalisé que je ne vivais plus les choses ainsi. Pouvais-je convoquer cet état, l’activer dans l’imaginaire ? Ces questions m’ont menée à considérer qu’en arrivant à 10h au studio, je partais « en vacances » jusqu’à ce que je quitte le lieu à 18h. « Travailler à être en vacances », voilà un paradoxe intéressant qui interroge aussi notre rapport à la « rentabilité » des heures de studio louées ou prêtées. Si en vacances, je me sens dans cet état singulier parce que je ne suis pas là où je suis habituellement ; lorsque je suis ailleurs, je laisse une place vide dans cet espace habituel duquel je me suis extraite : les vacances sont une vacance. J’ai donc réfléchi à ce que c’est que ne pas être là, à « prendre des vacances de son corps », un exercice difficile pour une danseuse !

Et comment passe-t-on de la vacance à l’état de grâce ? Comment venez-vous à subvertir cet « idéal romantique » de l’art chorégraphique ?
J’ai réalisé une série d’interviews auprès de gens qui, tous, ont une définition différente de la grâce : si d’aucuns ne peuvent décrire ou circonscrire cette expérience du corps, tous affirment l’avoir vécue et ont en commun la mémoire d’une évidence. La pratique de « ces vacances du corps » m’a menée à la notion de grâce au sens de ce qui me dépasse et est au-delà de moi. Dans le champ de la danse, le post-modernisme pose le corps simplement sur scène comme signifiant, ici et maintenant. Or, s’il a délaissé le ballet et le personnage, il n’a pas véritablement occulté la grâce, omniprésente et le public est toujours en attente de virtuosité. Pour ma part, je ne suis pas une spectatrice intéressée par la prouesse technique mais je constate être parfois moi-même « touchée par la grâce », notamment lorsque je regarde la perfection de Nadia Comaneci. Pour travailler cet « état de grâce », j’ai décidé d’adopter la pire stratégie du « il faudrait que cela arrive » en exécutant les consignes que j’énonce.

Que cherchez-vous dans le fait de faire apparaître la vacance, la mort et la grâce, trois concepts qui impliquent le vide, l’abstraction ?
À mon sens, il y a un vrai tabou dans notre société : on ne pense ni la mort ni les morts. Je n’aurais pas créé cette pièce si mon père n’était pas mort au moment où je débutais mes recherches. Je ressentais alors un écart entre mon besoin de parler de cette expérience extra-ordinaire qu’est l’accompagnement d’une personne vers la mort et l’incapacité de trouver un espace pour l’exprimer. Lorsque j’en parle dans le spectacle, certains pensent que c’est une histoire inventée ou que ce n’est pas la mienne et il me plaît que chacun entende ce qu’il est en mesure d’entendre. Je parle très peu de ce terreau intime mais j’ai eu besoin de placer çà et là quelques signes car cette pièce s’adresse à mon père autant qu’elle parle de la mort.

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